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SI CE N'EST TOI

LA PIÈCE

SYNOPSIS

Dans un monde futur ravagé par des épidémies de suicides, l’Autorité a réinitialisé la société : passé aboli, vieux centres-villes détruits, banlieues réaménagées, habitants déplacés et leurs affaires personnelles détruites. Règlements, surveillance et contrôle étouffants.

 

Jams est dans les Services. Il patrouille avec ses gars dans les ruines et traque la racaille et les détraqués. En rentrant chez lui, il raconte sa journée de travail à sa femme, Sara. Une vieille femme, un tableau… Mais Sara ne l’écoute pas.

 

Depuis des semaines, elle entend sans cesse frapper à la porte.  Elle ouvre, il n’y a personne. Que sont, que veulent dire ces coups ?

 

Un jour, c’est Grit qui frappe. Jams le fait entrer. Il dit être le frère de Sara.  Rien ne va plus. La situation leur échappe.

NOTE D'INTENTION

Quel avenir nos sociétés nous préparent si nous n’y prenons pas garde ? Que deviendront nos vies si nous laissons les choses aller, sans rien faire, nous en accommodant, ou même nous rendant nous-mêmes incapables de les voir devenir de plus en plus folles ?

 

Si ce n’est toi se déroule dans le futur. Mais, une fois expurgé du spectacle que la société d’aujourd’hui organise de sa propre fiction, notre présent ne paraît-il pas bien proche de ce lendemain qui déjà pointe ?

 

L’abondance et la consommation rendaient les gens malades. Terrifiés par les épidémies de suicides collectifs, les gens ont accepté l’ordre imposé par l’Autorité. Pour trouver la paix, pour que la souffrance s’en aille, ils oublient, ils obéissent. Au prix de leur humanité.

 

Dans cette société de l’oubli, il n’est question que de survivre en respectant la norme qui se veut protectrice, contrôlée jusqu’au cœur de l’intimité, jusqu’au fond des esprits : chaque chose à sa place ! Plus aucun libre-arbitre. Et l’imagination est bannie.

La prison parfaite, en dit lui-même Edward Bond, mais il ajoute qu’il est impossible d’empêcher la poussière d’y entrer : il y a toujours une limite à ce qu’il est possible de contrôler (1). 

Dans Si ce n’est toi, la poussière s’infiltre de tous côtés. Des coups frappés à la porte que seule Sara entend. Un vieux tableau accroché à un mur dans les ruines par une vieille femme que Jams surprend pendant sa patrouille… Grit, un frère venu avec sa vieille photo. Photo, frère, interdit ça !

 

La seule issue que Jams, dépassé et paniqué, imagine au désordre terrible et dangereux qui s’ensuit est de tuer Grit. Mais Sara va décider de boire le poison destiné à Grit. Elle refuse de se soumettre plus longtemps.

 

 

 

 

 

 

 

Elle oppose son humanité à l’injonction de la société. Sacrifier sa vie est le choix qu’elle fait pour se libérer de la prison inhumaine. Edward Bond a dit de Si ce n’est toi qu’il s’agissait d’une farce et d’autre chose. Cette autre chose, c’est l’effet de ce qu’il nomme le paradoxe, ce paradoxe en nous qui nous rend humain.

« Ce paradoxe est la vérité au cœur de la tragédie grecque. Dans une situation extrême, nous apprenons que le sens de la vie est plus important que la vie elle-même. C’est cette vérité qui a fait de la tragédie grecque un des fondements de notre civilisation. Il faut qu’elle soit aussi le fondement du Drame moderne. Cependant, quelque chose d’aussi fragile qu’une pièce de théâtre, est-ce vraiment aussi fort, aussi révélateur ? Il est facile de le prouver. Jetez un regard sur votre vie, jetez un regard au fond de votre esprit – regardez en vous-même ne serait-ce qu’une heure. C’est exactement ce que font Hamlet, Antigone, Hécube. Si vous ne découvrez pas en vous le paradoxe qui est le leur, alors vous ne vous respectez pas – parce que vous ne respectez pas autrui .» (1)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est aussi ce que fait Sara, parce qu’elle décide de se respecter. Dans le plus banal appartement réglementaire où les personnages se disputent pour la simple place d’objets quotidiens, la tragédie se noue. Et toute l’humanité se concentre alors dans la mémoire qui

revient malgré les interdits, et dans le paradoxe qui, murmure ou cri intérieur, nous rappelle ce que nous sommes.

 

Au nom de la lutte contre une pandémie, nos vies quotidiennes, parcourues par la peur et la défiance de l’autre, se sont pliées aux contraintes et aux interdits, aux injonctions et aux exclusions, imposées, réclamées même, pour nous protéger. 

Demain, quelles mesures viendront bouleverser nos vies face aux conséquences désastreuses d’un environnement détruit par une économie dévorante, pénuries alimentaires, sécheresses, cataclysmes dit naturels, air irrespirable, exodes et populations déplacées… 

 

Et toujours continuent les guerres et leur cortège de vrais crimes et de fausses informations que se jettent au visage ceux qui s’affrontent, écoles et hôpitaux bombardés, vieillards, femmes et enfants en fuite massacrés, camps et génocides… débouchés toujours rentables des armes les plus terrifiantes que nous ne cessons de fabriquer.

 

L’ennemi désigné dans l’émotion médiatique incarne le mal, il peut tout subir de ceux que la société déclare les tenants du bien, en toute bonne conscience. L’idéologie transforme la réalité en mensonge et crée la violence et l’injustice. 

L’abondance insolente a transformé le citoyen en consommateur. Le chemin commencé dans la clarté des Lumières s’achève au crépuscule du marché. Une consommation folle ici, et une extrême pauvreté ailleurs, un ailleurs parfois si près, juste au pas de la porte, dans la rue, à côté de l’abribus où tâche de survivre sans espoir celui qui n’a plus rien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que faisons-nous de notre humanité pour parvenir à vivre face à tant d’injustices ? Que sommes-nous prêts à accepter pour continuer d’avoir le droit d’aller prendre un verre ou de partir malgré tout en vacances à l’autre bout de la Terre ?

 

Ne voyons-nous pas où tout cela nous conduit, à l’heure où les machines sont devenues capables de surveiller le moindre de nos gestes, pendant que les Prométhées à l’envers qui les possèdent, ivres de pouvoir et d’argent, œuvrent à la standardisation de nos comportements en rêvant pour eux-même d’une immortalité technologique trans-inhumaine ?

« Le Drame vit au plus profond de nous. Il nous force à dramatiser nos vies. Le Drame est le berceau de la civilisation. Et au cœur du Drame se tient le paradoxe de l’humain : dans l’extrémité tragique, le sens humain de la vie est plus important que la vie elle-même. L’autorité pourra très bien nous réprimer et même nous détruire. Mais contre le Drame, elle ne pourra jamais faire usage de balles en caoutchouc, de balles réelles, de canons à eau, de matraques, de gaz lacrymogènes, de chiens policiers en laisse, de menottes, de surveillance ultrasophistiquée, d’incarcérations, de torture, de procès et d’exécutions. » (1)

 

Il n’est pas nécessaire d’en dire beaucoup plus. Il n’y a pas de temps à perdre. Mettre le paradoxe en évidence. Il faut montrer. Il faut choisir. Jeu empreint de temps, de non-jeu et de silence. Présence de pleine conscience plongée dans la situation. Place au texte, fidélité à l’auteur, comme un appel à la participation du « spect-acteur ».

 

Mise en scène épurée, lumières et ambiance froides, image d’un monde carcéral, aseptisé, déshumanisé, pour permettre au public d’y trouver sa place, d’y projeter son imaginaire et de faire ses choix, lui aussi.

 

Rendre à la scène son vrai pouvoir : le plateau comme site d’un imaginaire cathartique et d’identification. Il s’agit sans aucun doute d’un théâtre du politique, où les imaginations se lèvent pour décider du monde, pour que le futur ne soit pas, justement, celui-là. 

 

« Le destin est une fiction qui devient réalité lorsque les hommes se laissent persuader qu’ils n’ont aucun pouvoir politique. Alors ils prennent peur et deviennent haineux, ce qui les convainc que l’existence est régie par le destin.» (3)

  1. Edward Bond – Entretiens avec David Tuaillon – Les Belles Lettres-Archimbaud Editeur.

  2. Edward Bond – Etre Humain – Note pour le programme de Rouge Noir et Ignorant présenté en Turquie au Festival international de Théâtre d’Istanbul le 31 mai 2014.

  3. Edward Bond – Commentaire sur les pièces de guerre – L’Arche Editeur.

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L’AUTEUR : EDWARD BOND

Edward Bond naît le 18 juillet 1934 dans une famille ouvrière à Holloway, dans le nord populaire de Londres. L’enfant Edward Bond, de ses six à onze ans, est traumatisé par les bombardements. Après la guerre, exclu de l’école, il doit commencer à travailler dès quinze ans. 

Adolescent, une représentation de Macbeth lui avait fait découvrir le théâtre. Il l’étudie en autodidacte  et se met à l’écriture durant son service militaire dans l’armée d’occupation alliée à Vienne à partir de 1953.  Il remet à la fin des années 50 ses textes au Royal Court Theatre, scène d’avant-garde à Londres, qui crée ses premières pièces.

 

Dans Sauvés, en 1965, il montre sur scène la lapidation d’un nourrisson dans son landau. La pièce soulève un immense scandale. Interdite, elle aura pourtant un succès international et assurera sa notoriété. Elle marque une véritable rupture dans le théâtre en Grande Bretagne.

 

En 1968, les polémiques autour d’Au petit matin, satyre anti-victorienne qui met en scène des dirigeants anglais anthropophages, provoqueront l’abandon de la censure théâtrale en Grande Bretagne.

Il commence la préface de son Lear, créé en 1971, par « J’écris des pièces sur la violence aussi naturellement que Jane Austen écrivait des romans sur les bonnes manières. La violence façonne et obsède notre société, et à moins que nous ne cessions d’être violents nous n’avons aucun avenir. » Il ajoute « Ceux qui ne veulent pas que les écrivains parlent de la violence veulent les empêcher de parler de nous-mêmes et notre époque. »

 "La loi d’écriture des pièces doit être la cause et l’utile

Pour casser la nécessité et montrer comment la justice est possible

Comme tous ceux qui vivaient au mitan de ce siècle, ou qui sont nés plus tard

Je suis un citoyen d’Aushwitz et un citoyen d’Hiroshima

De ce lieu où les méchants ont fait le mal et de ce lieu où les bons ont fait le mal

Tant qu’il n’y a pas de justice il n’y a pas d’autres lieux sur terre :

Il n’y a que ces deux là

Mais je suis aussi citoyen d’une monde juste encore à faire ."

Edward Bond est alors un dramaturge et metteur en scène professionnel reconnu, ses pièces sont jouées dans une soixantaine de pays. Il dirige également des ateliers d’acteurs et d’amateurs en milieu scolaire et universitaire.

Dans les années 80, il formule des critiques acerbes sur l’état du théâtre institutionnel britannique et s’en écarte, lui préférant le théâtre amateur ou à l’étranger, ses pièces y rencontrant un grand retentissement. En France, particulièrement, où Robert Wilson monte Au petit matin à Avignon en 1970, Claude Régy Sauvés en 1972, Patrice Chéreau Lear en 1975, Christian Benedetti Tuesday en 1999, et Alain Françon Pièces de guerre en 1994, Café en 2000,  Naître, Si ce n’est toi, Chaise en 2006 ou encore Les Gens en 2014.

Il écrit volontiers pour des compagnies de théâtre de jeune public (Auprès de la mer intérieure, Si ce n’est toi et d’autres pour la Big Brum Company de Birmingham), étant un partisan engagé pour la pratique du théâtre en milieu scolaire.

 

Edward Bond est l’auteur de plus d’une trentaine de pièces de théâtre ainsi que des pièces radiophoniques, des scénarios de cinéma (Blow Up de Michelangelo Antonioni en 1966) ou de télévision, des traductions de pièces étrangères (Les trois sœurs d’Anton Tchékhov) et de nombreux poèmes.

Cette œuvre s’accompagne de nombreux écrits théoriques présentant une réflexion approfondie sur l’art du théâtre et sa fonction dans la société. Les plus notables sont le Commentaire sur les Pièces de guerre qui accompagnait la parution de la trilogie en 1991 à Londres. En France, L’Energie du sens et La Trame cachée, ouvrages édités en 2000 et 2003 sous la direction de Jérôme Hankins, réunissent articles, notes, lettres, préfaces et poèmes.

 

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